Ce Mosquito que l’Europe ne veut pas entendre !
Carte blanche du CJC sur la problématique du Mosquito, appareil dont les jeunes sont les seuls à entendre les sons.
Carte blanche de Brice MANY, Secrétaire général du Conseil de la jeunesse catholique, parue dans la Libre Belgique le 04/04/2008
L’idéologie sous-jacente de ce produit se résume à considérer non seulement que les jeunes n’ont rien à apporter à notre société mais qu’ils y sont même tout simplement néfastes.
Mosquito ? A première vue, on imagine une nouvelle marque de produit antimoustique. Mais la réalité est plus sombre ; ce ne sont pas les petits insectes parasites que l’on cherche à réprimer. Il faut se rendre à l’évidence, ce sont les jeunes qui sont visés par cet appareil qui émet des sons très aigus que leurs seules oreilles peuvent entendre. Et c’est bien eux que l’on considère par là comme des nuisibles qu’il convient de chasser.
En tant que porteur d’une parole publique sur les réalités des jeunes de nos organisations, nous ne pouvons tolérer que soit ainsi porté atteinte aux droits fondamentaux garantis pour eux dans notre pays. En effet, comme le précisait récemment un quotidien, cet appareil induit à la fois une discrimination envers les jeunes, un traitement inhumain et une atteinte à leur intégrité physique, voire morale, sans compter l’obstacle qu’il pose à leur liberté d’association et de réunion. Le petit monde de la Jeunesse s’est ainsi mobilisé contre ces dangereux engins et a appelé à soutenir la pétition de l’ASBL Les Territoires de la Mémoire contre les "mosquitos", au travers notamment du Conseil de la jeunesse d’expression française.
La Jeunesse attendait également une réponse politique à cette injustice faite aux jeunes. Et celle-ci est venue dès l’apparition des premiers "mosquitos" dans notre pays. La classe politique s’est quasi unanimement indignée contre le principe même de ce genre d’appareil. Récemment, le ministre de la Jeunesse en Communauté française a d’ailleurs décidé d’agir pour que ces engins ne soient plus commercialisés, soutenant lui aussi la pétition "antimosquito". Nous ne pouvons que le soutenir dans les démarches qu’il a entreprises, notamment auprès de l’Union européenne.
La Commissaire européenne en charge de la protection des consommateurs s’est néanmoins déclarée incompétente dans ce domaine, indiquant qu’il revenait à chaque Etat membre d’adopter pareille mesure. On ne peut que déplorer que même l’argument de la menace sur la santé du consommateur, pourtant formulé en terme de régulation des marchés économiques qu’affectionne d’ordinaire l’Europe, n’ait pas suffi pour la convaincre d’intervenir.
Que dire, même, quand on voit l’Europe sans réaction à la violation de l’interdiction de tout traitement inhumain et dégradant pourtant prévue dans sa Convention européenne des droits de l’homme... on est sans voix !
Cette débâcle politico-institutionnelle ne doit pas nous faire oublier de nous intéresser au fond du problème que soulève le "mosquito". En effet, il n’est essentiellement qu’un des derniers avatars de l’individualisme triomphant qui domine notre société. L’idéologie sous-jacente de ce produit se résume à considérer non seulement que les jeunes n’ont rien à apporter à notre société mais qu’ils y sont même tout simplement néfastes.
Cette méfiance croissante envers les jeunes a des origines multiples. La surmédiatisation de la délinquance juvénile est l’une d’entre elles, et c’est aussi celle que la promotion du "mosquito" met en avant de la manière la plus crue. A côté d’un autre stéréotype tout aussi vivace, à savoir le caractère antisocial des jeunes.
Mais si le fabricant du "mosquito" ne fait donc qu’exploiter - avec un cynisme certain - une tendance sociétale qui n’est pas de son fait, son produit reste indéfendable de par sa nature même : il est entièrement conçu pour exploiter une particularité physiologique intrinsèque à tous les moins de 24 ans. Cette stigmatisation est d’autant plus aveugle que l’appareil agit sur une certaine zone, soi-disant à titre préventif. Et ceci ne peut que conduire à d’inquiétantes dérives lorsqu’il est installé dans un espace public.
La parcellarisation de la société en tranches d’âge de plus en plus étroites a donné lieu à une meilleure identification des besoins de toutes et tous et à la résolution de certains problèmes spécifiques à certains âges de la vie - et notamment de la jeunesse. Mais parallèlement est apparu et se creuse toujours ce qu’on appelle - souvent avec résignation - le fossé des générations.
Renouer du lien nécessite une ouverture mutuelle : chacun doit faire un pas vers l’autre pour qu’un dialogue puisse s’engager, pour qu’une rencontre démocratique puisse s’initier. Par sa décision, la Commission européenne vient cependant de laisser à chacun la liberté de se procurer un appareil permettant de remodeler son paysage social au quotidien. Et donc d’ignorer plus facilement certains prétendus indésirables. Au final, ce ne sont pas les jeunes cibles du "mosquito" qui sont antisociales, mais bien ses utilisateurs...
Le CJC, qui représente cent mille jeunes, n’a jamais voulu jouer le jeu du communautarisme en rentrant dans une logique d’opposition des jeunes contre leurs aînés. Au contraire, il a toujours défendu l’idée d’une société naturellement plurielle et fondamentalement solidaire, d’une société dénuée de toutes formes d’exclusion, d’une société reconnaissant pleinement la place et l’apport des jeunes en son sein. Le "mosquito" n’est donc rien de moins qu’un affront à notre projet citoyen.