Levons le voile sur les dérives d’une loi d’interdiction du foulard à l’école

Carte blanche du CJC relative à la loi souhaitant interdire le port du voile à l’école.

Trois arguments sont généralement avancés pour justifier une loi qui interdirait le port du voile à l’école :
le refus du prosélytisme, la neutralité de l’école, la protection de mineures contre une atteinte aux droits de la femme. Sans remettre en question l’objectif annoncé de lutter contre une discrimination, nous constatons que cette argumentation n’est pas exempte de dérives possibles.

Une première question se pose : peut-on établir un lien objectif et univoque entre le port du voile et le prosélytisme ?
Autrement dit, toutes les personnes voilées ont-elles pour objectif de recruter des adeptes de leur religion ? Ou à l’inverse, n’y aurait-il que des personnes voilées qui fassent du prosélytisme ?
La focalisation sur le foulard apparaît comme doublement réductrice.
Et s’il semble important de se préserver de toute démarche prosélyte dans l’enceinte scolaire, alors légiférons sur le prosélytisme à l’école.
Et dans la foulée, au-delà du domaine religieux, il faudra sans doute interdire toute forme de propagande politique et économique : tee-shirts à l’effigie du Che, keffieh palestinien ou chaussures Nike. La méfiance par rapport au prosélytisme et l’épouvantail de la contagion idéologique ne cachent-ils pas plus fondamentalement une peur du débat ? Faut-il se méfier d’un débat entre élèves (avec ou sans enseignant) dont on ne connaîtrait pas l’issue ?
C’est la culture du débat en classe et dans l’école qui est en jeu. De même sa neutralité.

Comment appréhender la neutralité de l’école ? Plusieurs personnes insistent sur l’ambiguïté de cette notion. En résumé, la question est de savoir si c’est l’ensemble des acteurs de l’école (parents, profs, élèves) qui doivent faire preuve de neutralité dans l’espace scolaire ou si cette exigence est seulement le fait de la fonction scolaire et de ses agents qui doivent faire passer leurs convictions personnelles après leur mission d’enseignement. Pour nous, c’est l’institution, comme service public, qui doit relever du principe de neutralité et non les élèves et les parents, usagers de ce service. Néanmoins, cela ne résout pas la question de la neutralité qui se pose aussi au niveau des valeurs et des savoirs transmis par l’école et de leur « intégration » par les élèves.

Une des missions de l’école est de transmettre des connaissances sans d’autres partis pris que celui de l’objectivité des méthodes et des savoirs entérinés dans des programmes dont l’application est soumise à inspection.

Il s’agit donc d’une norme dont le contenu est l’objet de choix, fonction d’une époque, d’une société, d’un groupe d’intérêts. Il n’y a pas de neutralité absolue dans la transmission des savoirs.

De plus, qu’attend-on de l’élève par rapport aux savoirs présentés ? Qu’il puisse faire la preuve de sa compréhension de la matière, qu’il puisse la restituer ou qu’il marque son adhésion à ce qu’on lui enseigne ? De ces trois options, la dernière est la plus problématique. Qu’en est-il d’un élève qui doit gérer les contradictions entre les enseignements de sa culture d’origine et ceux de l’école ? Doit-il abandonner un message pour l’autre et assimiler celui qui lui fera réussir son année et constituera la preuve de son intégration dans la société ? Par ailleurs, que va penser l’enseignant en voyant toutes ces jeunes filles avec leur foulard lui restituer les théories évolutionnistes de Darwin ? Elles peuvent connaître la matière sans pour autant y adhérer. Qu’on le veuille ou non, nous sommes là dans un conflit d’idéologies, dans une confrontation d’idées et de représentations du monde et de la société.

Pourquoi ne pas, dès lors, intégrer cette dimension de confrontation d’idées dans nos pratiques pédagogiques ? Et dépasser ainsi l’opposition stérile ou le simple rapport de force d’une majorité vis-à-vis d’une minorité. La réponse la plus souvent formulée repose sur ce qui fonde aujourd’hui notre contrat social : l’obligation de partager des valeurs communes, dont celles des droits de la femme et de l’homme.

Précisément, le respect des droits est le troisième argument retenu. Si nous n’avons aucune garantie quant au respect des droits des personnes qui ne portent pas de foulards, au moins, pouvons nous dénoncer comme contraires aux droits humains les pratiques obligeant des mineures à ainsi se voiler, que les jeunes filles soient consentantes ou que ces pratiques soient ou non avilissantes. Tout en reconnaissant qu’il faut maintenir le débat sur les droits des femmes et avancer concrètement en ce domaine, nous constatons que, pour le moment, la question du port du voile apparaît comme une priorité. Alors qu’il y a peu, c’étaient les discriminations en matières salariales qui étaient mises en évidence. Et si l’on se place de ce point de vue, la femme musulmane est sans doute plus discriminée par la société belge que par sa famille. Mais plutôt que de s’affronter à de telles inégalités sociales, ne vaut-il pas mieux trouver un leurre ?

Du point de vue de la protection des mineures, la loi proposée n’est pas une solution. Si l’on considère comme problématique le port du foulard par des jeunes filles dans l’espace scolaire, il doit l’être aussi dans l’ensemble de l’espace public. De plus, si ces jeunes filles sont perçues comme des victimes, c’est vis-à-vis des responsables de ces comportements discriminatoires qu’il faut agir et non envers elles.

Mais au fond, cette triple argumentation ne cache-t-elle pas en réalité, derrière une visée plus acceptable d’intégration, une volonté d’assimilation ? L’assimilation sous-entend l’abandon de ce qui fait la différence, alors que l’intégration conduit chaque partenaire à évoluer. Est-il cohérent et juste de faire jouer à l’école un rôle d’assimilation idéologique, alors que l’on revendique en même temps sa neutralité ?

Les valeurs fondamentales qui orientent notre vivre ensemble et fondent notre société aujourd’hui ne sont pas immuables. Elles sont autant à réinterroger qu’à défendre. A partir du vécu et de la pratique et non à partir de quelque point de vue de Sirius. Le faire n’est pas œuvre iconoclaste, mais reconnaissance d’une certaine humilité et cohérence avec ce que ces mêmes valeurs portent en elles-mêmes : respect mutuel et dialogue. C’est le pari démocratique.

Pourtant d’un coup de force au travers d’une loi qui ne ferait qu’accentuer l’iniquité dont la principale victime est la personne que l’on souhaite défendre, nous passons aujourd’hui à des démarches sporadiques qui poussent plus avant les logiques d’exclusions. C’est sans possibilité de débat que l’argument du foulard est aujourd’hui utilisé pour renforcer une dynamique de rejet. Le dernier exemple en date, celui du refus du foulard pour des raisons de sécurité dans un labo de chimie est hautement illustratif. Sans même placer le débat sur les valeurs fondamentales dont celles de la liberté d’expression et de conviction, on voit que pour résoudre un problème basé sur la différence deux solutions se présentent. La première, rester fermé sur ses principes et exclure ou pousser l’autre à partir. La seconde, faire œuvre de créativité et évoluer ensemble en garantissant sécurité et conviction avec un foulard dans les mêmes matières que les tabliers de labo.

A notre époque de replis communautaire frileux, il ne nous semble pas que nous sommes devant un choix. Notre seul enjeu est de vivre en tenant compte de l’autre.


Gengler Vincent
Secrétaire général f.f. du CJC